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The Conversation | Recherche universitaire sur l’Ukraine : le retard de la France

Publié le 16 septembre 2024 Mis à jour le 16 septembre 2024
The Conversation
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Par Oksana Mitrofanova, Chercheuse en relations internationales, Université Jean Moulin Lyon 3.

Oksana Mitrofanova, Université Jean Moulin Lyon 3


Traditionnellement, en France et ailleurs en Europe, les études de l’Ukraine étaient con?ues comme une sorte de sous-discipline des études russes. L’attaque massive de la Russie contre sa voisine en février 2022 a braqué le projecteur sur ce pays de 45 millions d’habitants dont les spécificités étaient peu connues. Deux ans et demi plus tard, si la plupart des autres grands pays européens ont lancé d’importants centres d’études consacrés spécifiquement à l’Ukraine, la France appara?t en retard dans ce domaine.

En ao?t 2022, quelques mois après le déclenchement par la Russie d’une guerre à grande échelle contre l’Ukraine, j’avais publié sur The Conversation un article qui commen?ait par l’affirmation suivante : ? la politique étrangère de l’Ukraine et les particularités de la mentalité ukrainienne sont peu connues en France. ?

Deux ans plus tard, quelle a été l’évolution des recherches sur l’Ukraine en France, mais aussi dans plusieurs autres grands pays européens ? L’Ukraine est-elle devenue un objet d’étude en soi ou bien reste-t-elle largement considérée comme un thème qui doit être examiné essentiellement du point de vue de son rapport à la Russie ?

Prise de conscience rapide en Pologne, en Allemagne et au Royaume-Uni

En Allemagne, dès l’été 2023, l’Université de Münster a regroupé plusieurs départements au sein de l’Ukraine Research and Studies in Münster (URSiM), tandis que l’Université Viadrina de Francfort-sur-Oder, à la frontière germano-polonaise, ouvrait son Viadrina Center of Polish and Ukrainian Studies (VCPU) qui, seul dans son genre, travaille à la fois sur l’histoire de l’Ukraine et de la Pologne. Le Centre est érigé en composante de l’université. Autrement dit, tant que l’Université Viadrina existera, ce centre fonctionnera.

D’ici à 2028, le ministère allemand des Affaires étrangères fournira cinq millions d’euros pour développer deux centres d’études ukrainiennes, l’un à Regensburg et l’autre à Viadrina, qui serviront à diffuser les connaissances sur l’Ukraine en Allemagne à coordonner le travail des chercheurs allemands travaillant sur l’Ukraine, ainsi qu’à établir des relations avec des scientifiques ukrainiens. Ils seront également utiles aux représentants des institutions allemandes qui participeront à l’avenir à la reconstruction de l’Ukraine après la guerre.

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Au Royaume-Uni, cette prise de conscience est plus progressive. En 2023, l’Université de Manchester est devenue la première Université du monde anglophone à ouvrir une chaire ordinaire de politique ukrainienne, confiée à la politiste Olga Onuch.

En Pologne, les études de politologie ukrainienne sont d’un haut niveau, et les experts polonais de la politique ukrainienne sont tous ukrainophones, ce qui n’est pas systématiquement le cas ailleurs. Des centres de recherches polonais tels que le Center for Eastern Sudies (OSW), le Centre d’études sur l’Europe de l’Est de l’Université de Varsovie (SEW UW) ou encore le Centre d’étude de l’Europe de l’Est de l’Université M. K. Sklodowska de Lublin, qui traitent de thématiques concernant l’ensemble de l’Europe orientale, consacrent une large place aux études ukrainiennes.

Leurs stratégies de diffusion des résultats de la recherche sont intéressantes. Par exemple, le Centre d’Europe de l’Est de l’Université M. K. Sk?odowska de Lublin publie simultanément des monographies collectives de chercheurs polonais et ukrainiens en langues polonaise et ukrainienne, et certaines collections d’articles scientifiques publiées à Lublin contiennent des articles rédigés par des auteurs ukrainiens en ukrainien et par leurs confrères polonais en polonais.

Alors que la Pologne ne manquait pas de politistes spécialistes des questions ukrainiennes, elle a également créé en 2022 un Centre d’études ukrainiennes (CSU) à l’initiative du directeur du (SEW UW), Jan Malicki. Cette décision perspicace est certainement utile compte tenu de l’importance des relations polono-ukrainiennes et de la présence d’un nombre important de réfugiés ukrainiens en Pologne (environ 1 million aujourd’hui).

En France, un intérêt accru, mais beaucoup reste à faire

Après le 24 février 2022, un intérêt accru pour l’Ukraine est apparu dans le monde universitaire en France. Nombre de conférences, colloques, tables rondes consacrés à l’Ukraine se sont tenus, en particulier en 2022 et 2023. Mais des structures pérennes d’analyse de l’Ukraine contemporaine ont-elles été créées en France ?

On peut constater le lancement en octobre 2023 de Coruscant, un Centre de recherches sur la Russie qui propose de repenser les modes de production des connaissances sur la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine. En revanche, il n’existe toujours aucun Centre consacré spécifiquement à l’Ukraine et qui soit focalisé sur l’analyse de la politique de sécurité de ce pays et les aspects politiques et militaires.

Des doctorants fran?ais voudront-ils s’emparer de thématiques ukrainiennes si seulement des postes de ma?tre/ma?tresse de conférences en langue e